Origines et développements des conflits à l’Est de la RDC: mots de Nord Kivu

Nord Kivu
Remix con supporto AI © MONUSCO Photos CC BY-SA 2.0

*Afin d’assurer la sécurité de la personne interviewée, son nom n’est pas mentionné dans ce texte et tous les détails permettant de l’identifier ont été éliminés. 

Depuis longtemps, l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC) est affecté par la violence. Dans cette première interview, nous avons demandé à un coopérant congolais, analyste des processus de changement sur la longue durée dans la région de Grands Lacs, de nous aider à comprendre les origines, les raisons et les perspectives des conflits dans la région. 

Commençons par une brève contextualisation du conflit. Quelles sont ses origines et ses raisons?  

La partie orientale de la RDC a comme épicentre la province du Nord Kivu, frontalière du Rwanda et de l’Ouganda. Cette province est multi-ethnique et les tribus sont: les nande, les hutu, les tutsi, les nyanga, les tembo et les kumu. Des tribus originaires d’autres provinces (entre autres, les bashi, les havu et les rega) se sont installées au Nord Kivu, particulièrement dans les grandes agglomérations urbaines. 

L’origine des groupes armées est lointaine. Au départ, il y avait des milices ethniques nées en 1992, depuis l’opération d’identification des nationaux, à la suite de laquelle les tribus qui se réclamaient autochtones (notamment, les hunde, les nyanga, les tembo et les nande) se sont liguées pour refuser la reconnaissance d’identité aux descendants des populations hutu d’origine rwandaise, dont les parents ont été installés par les colons belges dans le Masisi et la chefferie de Bwito (territoire de Rutshuru), entre 1930 et 1953. Cette négation de la nationalité concernait aussi des réfugiés tutsis installés au Nord Kivu par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés après la Révolution sociale rwandaise de 1958. 

Des milices d’auto-défense ont été alors constituées par chaque ethnie. Mais, les tutsi n’étaient pas intéressés à leur constitution, car ils étaient déjà engagés depuis 1990 dans la guerre contre le Rwanda à travers le Front Patriotique Rwandais (FPR). Donc, les milices dites Mai-Mai (composées de hunde, de nyanga, de nande et de tembo) s’affrontaient contre celles hutu, appelées “combattants” ou “gardes civiles”.

Les assassinats du président hutu rwandais, Juvénal Habyarimana, et burundais, Cyprien Ntaryamira, le 6 avril 1994 par le FPR, ont provoqué l’indignation et la colère entre les hutu, non seulement au Rwanda, mais aussi au Nord Kivu et au Burundi, où Habyarimana était considéré comme leur protecteur. 

Habyarimana, en qualité de président ami du maréchal Mobutu [ed. président de la RDC entre 1965 et 1997], incarnait la protection des intérêts des hutu immigrés face aux détracteurs de leur nationalité. Du côté burundais, il était le soutien incontournable des leaders hutu du FDD

Après la victoire du FPR sur le régime de Kigali en juin 1994, les hutu rwandais, y compris les forces armées, ont été déversés au Nord et au Sud Kivu. C’est justement à Mugunga au Nord Kivu que s’est installé l’État major de l’armée rwandaise avec son arsenal militaire. Certains militaires rwandais et milices Interahamwe ont commencé à s’infiltrer pour chercher de la nourriture dans les zones rurales de Masisi et Rutshuru et ils s’attaquaient à des familles tutsies qui étaient  rentrées au Rwanda, en laissant derrière leurs champs et leurs biens.

En 1996, l’arrivée de l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo (AFDL), dirigée par Laurent Désiré Kabila, avait la mission de rapatrier par force les réfugiés rwandais, mais aussi d’éliminer les anciennes forces armées de Kigali et les Interahamwe et de renverser Mobutu. Dans son expédition militaire, composée principalement des jeunes tutsi nés et grandis au Nord et au Sud Kivu, l’AFDL a étendu sa vengeance sur les populations congolaises, particulièrement les hutu. 

Les massacres systématiques à grande échelle sur les congolais et les réfugiés hutu ont suscité une colère collective des survivants. Les ex-forces armées rwandaises et les Interahamwe se sont dispersés au Nord et au Sud Kivu emportant les armes et les munitions qu’ils avaient en 1994. C’est ainsi que des jeunes congolais hutu, hunde, nyanga et tembo se sont approvisionnés en armes supplémentaires et se sont constitués en véritables groupes d’auto-défense. 

En même temps, les survivants rwandais à l’AFDL, surtout les membres de la branche militaire, se sont reconstitués en un mouvement d’opposition armée: les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR).

En 1997, Kabila renverse Mobutu et prend le pouvoir à Kinshasa avec l’aide des armées rwandaise, ougandaise et burundaise. En 1998, il remarque que les militaires rwandais poursuivent les massacres des congolais et les pillages des ressources (surtout minérales) et décide de les remercier.

En dénonçant l’ingratitude de Kabila, les militaires rwandais reviennent à Goma et suscitent l’intérêt de nombreux cadres et jeunes congolais pour créer une nouvelle rébellion. C’est la naissance du Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD Goma), qui, plus tard, va se scinder en RCD Goma et RCD KML. En même temps, se structure dans le Nord-Ouest, la terre natale de Mobutu, le MLC, dirigé par Jean Pierre Bemba, le fils d’un homme d’affaires proche du maréchal Mobutu. 

Ces trois mouvements rebelles, soutenus encore par le Rwanda et l’Ouganda, ont combattu Kabila jusqu’à son assassinat le 16 janvier 2001 à Kinshasa. Joseph Kabila succède à son père et engage des négociations avec les trois mouvements rebelles et l’opposition non armée jusqu’à décrocher l’Accord de Sun City, facilité par l’Union Africaine et la communauté internationale en 2002 en Afrique du Sud. C’est le début du régime de 1+4, soit un président et 4 vices-présidents, qui a consacré la réunification du Pays.

Malgré la naissance de deux mouvements rebelles, le Congrès National pour la Défense du Peuple (CNDP), dirigé par le général tutsi Laurent Nkunda et proche du Rwanda, et le PARECO/FAP, dirigé par le colonel hutu Mugabo Hassan pour combattre le CNDP, un compromis avait été obtenu pour l’organisation des premières élections, selon l’Accord de Sun City.

En 2008, on avait organisé la Conférence de Goma, une table ronde de paix, et un accord entre les groupes armés et le gouvernement avait été signé, suivi de l’intégration des rebelles dans les forces armées de la RDC (FARDC) et de la transformation du CNDP et du PARECO/FAP en partis politiques.  

Il y a eu un transfert de troupes aux FARDC et des responsables politiques à la politique nationale, mais quelques armes sont restées cachées dans les villages et tous les combattants ne se sont pas rendus

C’est pour ça qu’en 2013, le Mouvement du 23 mars (M23) a pris les armes. Son nom provient d’un accord signé entre le CNDP et le gouvernement congolais à Nairobi le 23 mars 2009, qui, selon le M23, n’est pas appliqué. Ensuite, le mouvement a été défait et les rebelles se sont exilés au Rwanda et en Ouganda.

En 2021, le M23 est réapparu aux frontières rwandaises et ougandaises. Du coup, les autres groupes rebelles se sont organisés pour barrer sa route en servant d’appendices aux FARDC. A ce jour, malgré la progression du M23, la coalition d’autres mouvements d’origine nationale et les FDLR (d’origine rwandaise), continue à le défier, face à l’échec des FARDC.

Quels facteurs expliquent la persistance du conflit aujourd’hui? 

Les conflits persistent à cause des problèmes existentiels des peuples, qui sont mal compris et mal résolus par ceux qui peuvent le faire. 

Premièrement, la question de la nationalité zaïroise [ed. du Zaïre, c’est le nom attribué à la RDC par Mobutu entre 1971 et 1997] à l’époque de Mobutu et de celle congolaise actuellementCe problème concernait les tutsi réfugiés au Zaïre depuis la révolution rwandaise en 1959, qui a renversé la monarchie tutsie minoritaire au profit des hutu majoritaires. Il concernait également la guerre du RCD revendiquant la nationalité congolaise aux hutu et leurs descendants immigrés depuis le Rwanda. 

L’Accord de Sun City a résolu la question en accordant la nationalité à toutes les personnes qui s’étaient établies sur le sol congolais ou dont un parent l’avait fait, avant le 30 juin 1960. Il ne devrait plus y avoir de problèmes car les revendicateurs ont été rétablis dans leurs droits en devenant des électeurs et des élus.

Deuxièmement, la réintégration des combattants des groupes armés dans l’armée régulière, la question qui pose problème actuellement et qui est à la base de la prolifération et de l’activisme des groupes armés au Nord Kivu. Depuis les guerres du RCD et du CNDP, les belligérants déposaient les armes et dialoguaient. Mais, le Parlement congolais a voté une loi qui interdit formellement l’intégration des rebelles dans l’armée régulière

Or, cette loi est postérieure aux Accords de Nairobi, qui permettaient à la branche militaire du CNDP d’intégrer les FARDC et à celle politique d’accéder aux postes de haut niveau, tels que les ministères et les directions d’entreprises, sans passer par des victoires électorales. Voici donc la base de l’incompatibilité entre l’Accord et la loi sur l’exclusion de tous membres du groupe armé des fonctions militaires et politiques en RDC. 

Or, le M23 étant une métamorphose successive de l’AFDL, du RCD et du CNDP, il vaut la peine de remarquer que les militaires tutsis qui avaient été habitués à accéder aux grades et aux fonctions militaires par le système d’intégration après négociations, se sont retrouvés en difficulté après la loi, qui rejettait cette procédure et stipulait que tous les rebelles devaient subir le processus de DDR (désarmement, démobilisation et réinsertion dans la vie civile).

Troisième, il y a eu une demande de retour des réfugiés congolais vivant au Rwanda, majoritairement tutsi. On observe une faible volonté politique des autorités congolaises, mais aussi du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés et des Pays d’accueil à accélérer leur retour. Le non-retour des réfugiés constitue un de principaux motifs qui pousse leurs fils à prendre les armes dans le M23. 

Les conditions pour leur retour ne sont pas réunies à cause de la présence des groupes armés locaux et étrangers, en l’occurrence le FDLR. Nombreux groupes sont hostiles aux tutsi dont sont issus les dirigeants actuels du Rwanda, eux aussi hostiles aux hutu. 

L’équation est donc difficile à résoudre. Ces tutsi, qui réclament de rentrer en RDC, ont vécu longtemps dans ce Pays où ils possèdent des terres, du bétail et des maisons. Mais, comment peuvent-ils regagner leurs biens dans un espace à sécurité volatile si l’État congolais ne restaure pas son autorité? Les groupes armés hostiles aux tutsi jouissent parfois de leurs richesses, en exploitant leurs champs et en pillant leurs bétails. 

Quatrièmement, les régimes de Kigali et Kampala exploitent le conflit congolais. Une analyse minutieuse montre la main noire du régime rwandais: à chaque expédition d’un groupe rebelle soupçonné de bénéficier du son soutien, il s’observe des pillages systématiques des biens à destination du Rwanda. 

Les biens de base et les véhicules deviennent butin de guerre. Les minéraux rejoignent les entreprises américaines, en passant par les ports de l’Océan indien. Vu sous cet angle, on peut considérer que le Rwanda et l’Ouganda sont des supplétifs des Etats-Unis, car ils permettent aux américains d’accéder aux produits miniers à vil prix et les Etats-Unis ne peuvent pas hésiter à armer les rébellions proposées par l’Ouganda et le Rwanda.

Aussi, la démographie au Rwanda et la rareté des terres attisent les tensions au Nord Kivu, où les rwandais, surtout les tutsi éleveurs, utilisent tous les moyens possibles pour obtenir des terres: dans les sociétés agricoles, la possession de la terre est synonyme de pouvoir. Également, l’expansion du commerce rwandais dans l’aire constitue un enjeu, surtout dans le cas des minéraux, des produits agricoles et des technologies. L’or de l’Est est depuis longtemps vendu à Kigali, Kampala et Bujumbura. Le coltan arrive quotidiennement au Rwanda et le café traverse le lac Kivu.  

Ces produits sont vendus à l’Occident, notamment aux Etats-Unis, au Canada et à l’Union européenne, qui protègent les Pays voisins qui soutiennent les rébellions dans l’Est de la RDC: les transactions incluent la fourniture d’armes et des munitions.

Concernant la formation des groupes armés, tu as souvent mentionné l’ethnicité, quel est son rôle dans le conflit? 

Le concept d’ethnicité dans l’Afrique des Grands Lacs désigne un groupe de personnes ayant une descendance en commun, partageant des valeurs, la langue et les coutumes

Ici à l’Est, les ethnies sont nombreuses. Certaines se réclament être autochtones considérant les autres comme allochtones ou carrément étrangères. Certaines se considèrent de descendance bantoue et d’autres de descendance nilotique. Les contours et les frontières de ces conceptions identitaires ne sont pas faciles à établir. 

Au Nord Kivu, par exemple, les hunde, les tembo, les nyanga et les nande se réclament autochtones par opposition aux hutu et tutsi qui sont considérés allochtones (sauf dans la chefferie de Bwisha, où on identifie des hutu et des tutsi originaires de cette entité coutumière). Dans le Nord Kivu, cette réalité a été à la base des guerres ethniques en 1965 (guerre de Kanyarwanda) et en 1993, avec le conflit déclenché par l’opération d’identification des nationaux.

Les hunde, les nyanga, les tembo, les nande et les hutu se réclament descendants des bantous, alors que les tutsi sont nilotiques. Ces identités, qui tirent leurs origines dans l’histoire lointaine des migrations africaines, alimentent des débats politiques actuels et deviennent source de stigmatisation et d’exclusion sociale, économique et politique.

Aujourd’hui, l’ethnicité intervient dans le conflit entre le M23 et le gouvernement de Kinshasa. La guerre du M23 est portée par les tutsi: ce sont des tutsi congolais qui se battent pour rentrer chez-eux, estimant qu’ils sont exclus par le pouvoir de Kinshasa. Mais, ce sont aussi des militaires tutsi et hutu de l’armée rwandaise qui se battent contre le gouvernement congolais. 

Avant, il y avait des milices inféodées aux peuples autochtones qui voulaient chasser les hutu et les tutsi. Aujourd’hui, on constate que cette coalition est dépassée. Plutôt, il y a une coalition entre des mouvements hunde, hutu, nande et nyanga qui se battent aux côtés des FARDC contre le M23. Donc, ceux qui se battaient hier entre eux ont fait un front commun contre le M23 jugé être la rébellion tutsi contre les autres congolais. 

Quelles sont tes attentes concernant l’avenir du conflit et penses-tu qu’il est possible de parvenir à la paix? 

Ce conflit est le résultat des régimes africains qui changent rarement sans un bain de sang. L’Ouganda et le Rwanda sont des supplétifs des américains pour accéder aux ressources minières congolaises. Pour cela, il faut une réelle volonté des Etats-Unis de renoncer au soutien militaire et politique au Rwanda et l’Ouganda, afin que les rebelles cessent de progresser et de s’imposer par la force.

Deuxièmement, il est nécessaire qu’il y ait une ouverture démocratique à Kampala et à Kigali pour permettre le dialogue entre les ougandais et entre les rwandais et accepter le retour négocié de leurs réfugiés respectifs. L’exercice du pouvoir pendant plus de 25 ans au Rwanda et 35 en Ouganda par une personne devient du népotisme. 

Troisièmement, il faut une répartition inclusive des ressources en RDC et l’instauration d’une autorité forte et d’une justice efficaces contre l’impunité.

Enfin, il est fondamental de préparer un plan de redressement et de relèvement communautaire inclusif pour éviter des regains de tensions sociales envenimées par des inégalités. Le plan devrait inclure des projets d’infrastructures capables d’accélérer le développement, tels que des routes, des centrales de production d’énergies, des centres de transformation agricole, des ports, des chemins de fer, des aéroports et des usines. 

 

 

 

 

Editing a cura di Beatrice Cupitò

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